«Par puissances privées, nous entendons toutes les instituitions crées et dirigées par les citoyens, qui confèrent à ceux-ci la possibilité de résister à l'emprise de l'Etat. Autrefois le seigneur féodal défiait le Roi du haut des tours de son château fort; aujourd'hui, les entreprises commerciales et industrielles, la propriété individuelle, les associations, les syndicats, les journaux sont autant d'obstacle de fait à l'omnipotence gouvernementale. Il faudrait d'ailleurs distinguer entre les "grandes" et les "petites" puissances. Les premières sont dangereuses pour les citoyens, qu'elle protègent de la tyrannie de l'Etat en lui substituant souvent leur propre tyrannie, de telle sorte que leur destruction, bien qu'elle laisse l'individu désarmé en face des gouvernants, peut lui apparaître comme une libération: ainsi le peuple de l'Ancien Régime savait-il gré au Roi de l'avoir délivré de l'oppression féodale; ainsi le peuple d'aujourd'hui se dresse-t-il contre les "trusts", sans toujours bien savoir de quoi il s'agit, d'ailleurs.
Au contraire les petites puissances n'ont pas cet inconvénient. Elles donnent à l'individu la force nécessaire pour résister à toute oppression, celle des féodaux comme celle du Roi, celle des "trusts" comme celle de l'Etat. Telle est par exemple la possession d'une terre, d'un commerce, d'un métier et, d'une façon générale, de tout ce qui peut conférer à un homme une stabilité sociale. Le vieil adage "Charbonnier est maître chez soi", exprime bien ce moyen de limiter le pouvoir gouvernemental, ainsi que la fable célèbre du Meunier Sans- Souci.
(...) Sans doute, chacune de ces situations individuelles prise isolément, n'opposait pas un obstacle très grand aux fantaisies du pouvoir: mais la puissance de l'obstacle venait de leur multiplication au profit d'un grand nombre de citoyens. Ainsi, dans le pays de Lilliput, le géant Gulliver demeurait-il cloué au sol par des milliers et des milliers de liens, dont chacun était d'une fragilité déconcertante, mais dont l'ensemble formait une attache impossible à briser. Aujourd'hui, hélas, Gulliver a brisé les liens, un à un, et les Lilliputiens sont en face de lui, désarmés devant les excès possible de sa puissance.»
Maurice Duverger - in Les Régimes Politiques, La limitation des gouvernants
Au contraire les petites puissances n'ont pas cet inconvénient. Elles donnent à l'individu la force nécessaire pour résister à toute oppression, celle des féodaux comme celle du Roi, celle des "trusts" comme celle de l'Etat. Telle est par exemple la possession d'une terre, d'un commerce, d'un métier et, d'une façon générale, de tout ce qui peut conférer à un homme une stabilité sociale. Le vieil adage "Charbonnier est maître chez soi", exprime bien ce moyen de limiter le pouvoir gouvernemental, ainsi que la fable célèbre du Meunier Sans- Souci.
(...) Sans doute, chacune de ces situations individuelles prise isolément, n'opposait pas un obstacle très grand aux fantaisies du pouvoir: mais la puissance de l'obstacle venait de leur multiplication au profit d'un grand nombre de citoyens. Ainsi, dans le pays de Lilliput, le géant Gulliver demeurait-il cloué au sol par des milliers et des milliers de liens, dont chacun était d'une fragilité déconcertante, mais dont l'ensemble formait une attache impossible à briser. Aujourd'hui, hélas, Gulliver a brisé les liens, un à un, et les Lilliputiens sont en face de lui, désarmés devant les excès possible de sa puissance.»
Maurice Duverger - in Les Régimes Politiques, La limitation des gouvernants
