2008/05/05

Quand l'Antéchrist viendra...

Le type de réaction: le fascisme. - Beaucoup s'étonneront sans doute de nous voir considérer le fascisme comme une variété du régime politique russe. D'autres s'indigneront, comme en face d'un sacrilège. Ni l'étonnement ni l'indignation ne changeront rien aux faits et à leur évidence.
Nous ne prétendrons pas, certes, qu'aucune différence fondamentale, dans aucun domaine, ne sépare le fascisme et le communisme: leur opposition sur le terrain économique et social nous paraît au contraire aussi nette que leur ressemblance sur le terrain politique. Mais on n'oubliera point, précisément, que ce petit livre s'attache uniquement à l'analyse des régimes politiques. Je sais bien que les marxistes répliqueront que le politique n'est qu'un reflect du social et de l'économique: la comparaison du communisme et du fascisme démontre précisément leur erreur.
Cer les structures économiques et sociales des systèmes communistes et fascistes sont très differentes, du moins au départ. L'U.R.S.S. s'appuie sur une économie à peu près intégralement socialisée, où les moyens de production appartiennent à l'Etat, où l'Etat règle la distribution, où l'Etat absorbe intégralment les profits. Au contraire, les régimes fascistes (Allemagne, Italie, Espagne, Portugal) conservent la structure capitaliste dans son ensemble, en se bornant à contrôler les activités privées et a les orienter: il s'agit d'une économie dirigée et non d'une économie socialisée.
Par ailleurs, les classes dirigeantes n'ont pas la même origine dans les deux groupes de pays. En U.R.S.S., elles proviennent essentiellement du prolétariat; la proportion d'individus issus de l'ancienne bourgeoisie est faible; dans son ensemble cette ancienne bourgeoisie a d'ailleurs été supprimée. Dans les systèmes fascistes, au contraire, les cadres sont essentiellement bougeois; c'est seulement à titre individuel et exceptionnel que d'anciens ouvriers peuvent y accéder, à la suite d'un effort long et difficile; la bourgeoisie subsiste en tant que classe: le régime a même pour but fondamental d'assurer le pérennité de son pouvoir. (...)
Ainsi s'explique l'identité profonde du fascisme et du communisme au point de vue des institutions politiques, malgré la différence de leur structures économiques.
On retrouve en effet, dans l'un et l'autre, les mêmes éléments de base: le parti unique, d'une part, c'est-a-dire l'absence d'élections véritables et la suppression de toutes les libertés (presse, réunion, association, etc.); la police politique, d'autre part, avec tous les moyens d'élimination des opposants irréductibles: arrestations arbitraires, camps de concentrations, etc. Sans doute, la façade constitutionnelle diffère-t-elle quelquefois: les régimes fascistes montrent généralment moins de respect pour les institutions parlamentaires que l'U.R.S.S. (...)
Cependant, au delà de la similitude profonde des systèmes politiques, les mystiques qui animent et orientent ces systèmes demeurent absolument opposées. Au fond, le communisme repose sur un optimisme essentiel, sur la croyence dans la bonté foncière de l'humanité, dont les maux viennent seulement d'une mauvaise organisation sociale et non point de la nature même de chaque individu. Le fascisme est pessimiste, au contraire: il croit que la grande masse des hommes restera toujours assez méprisable, qu'une élite seule mérite quelque considération, que le reste est fromé de brutes qu'il convient d'encadrer et de diriger. Non seulement pessimiste, donc, mais aristocratique, tandis que le communisme est instinctivement égalitaire. (...)
Par rapport au communisme, le fascisme fair un peu penser à l'Antéchrist de la légende sicilienne rapportée par Selma Lagerlöff, où il est dit: "Quand l'Antéchrist viendra, il revêtira l'apparence du Christ..."».


Maurice Duverger - in Les Régimes Politiques, Les régimes de type russe